mercredi 21 avril 2010

L’UEMOA, ou comment faire l’intégration… pas à pas

Créé le 2010-04-21 12:15
Par Thierry Perret
Anniversaire des indépendances
Lancée en 1994, l’Union économique et monétaire ouest africaine apparaît comme un outil efficace d’intégration, dans une région qui n’a pourtant pas été épargnée par les crises. Aujourd’hui, l’objectif est d’être plus proche des préoccupations quotidiennes des gens, indique le président de la Commission de l’UEMOA, le Malien Soumaila Cissé.

RFI : Selon vous, en tant que président d’une institution d’intégration comme l’UEMOA, que reste-t-il de l'idéal panafricain, illustré par les pères fondateurs au moment des indépendances africaines ? N'est-on pas devenu plus modeste ?

Soumaila Cissé : Les pères fondateurs, comme vous dites, avaient une vision beaucoup plus politique des choses, et c’était normal, c’était dans l’air du temps. Aujourd’hui, je dirai avec
 le recul qu’il y avait peut-être des étapes à franchir avant d’en venir à une unité politique plus affirmée. J’ai vécu cette période comme adolescent, j’ai souhaité de tout mon être voir advenir cette Afrique unie qui parle d’une même voix et compte dans le concert des nations. Aujourd’hui, 50 ans après, je pense qu’il fallait régler beaucoup de problèmes liés à l’aspect économique des choses. De ce point de vue, il fallait sans doute consolider, avant d’envisager les grands États-Unis d’Afrique.

RFI : On parle de l'UEMOA, qui est de création relativement récente, comme d'une «success-story» en matière d'intégration. Mais que recouvre concrètement ce succès ?

S.C. : Bien que l’UEMOA soit de création récente, elle est fondée sur un passé où ont existé des institutions antérieures, telle la Communauté économique d’Afrique de l’ouest (CEAO), dont on utilise les erreurs comme les succès. Je pense que l’un des éléments du succès réside d’abord dans la bonne gestion de notre monnaie commune. C’est autour de la monnaie qu’on a bâti l’UMOA, avant de rajouter le « e » pour l’aspect économique, quand la situation économique globale s’est détériorée à partir, en particulier, de 1993. Depuis, il y a eu une prise de conscience beaucoup plus forte, non seulement au niveau des décideurs mais aussi au niveau des populations, sur la nécessité d’être ensemble.

La dévaluation a été vécue comme un traumatisme par les populations, et cela a certainement beaucoup aidé psychologiquement l’UEMOA à mieux bâtir ses programmes et à mieux faire accepter des décisions qui entrent dans un cadre commun. Au-delà, nous avons su mettre en place des éléments de développement communs : tout ce qui concerne la macroéconomie, et notamment l’harmonisation des tarifs douaniers, de la fiscalité, afin d’arriver à des normes communes. Aujourd’hui nous sommes dans une seconde phase où l’on commence à s’adresser directement aux populations, à traiter leurs problèmes en menant des actions de terrain.

Je signale également que la réussite de l’UEMOA est liée au fait que les pays s’y regroupent non parce qu’ils sont dans la même aire géographique, mais parce qu’ils partagent, avec la monnaie, des critères communs, ce qui nous différencie certainement des autres organisations régionales en Afrique.

RFI : L’UEMOA porte son effort sur la libre circulation des biens et des personnes : y a-t-il eu des avancées significatives en la matière ?

S.C. : Oui, il y a eu des avancées, mais honnêtement il y a encore beaucoup de choses à faire. On peut du moins circuler librement dans notre espace commun avec une simple carte d’identité, ce qui n’est pas courant dans toutes les régions africaines. Nous continuons toutefois à dénoncer – et nous sommes aidés en cela par les particuliers– les entraves qui existent toujours, même si beaucoup de pays ont réduit le nombre de barrières physiques sur les routes. Je pense toutefois que c’est un processus pour lequel il faut beaucoup d’apprentissage, de pédagogie, et où il faut se donner des objectifs réalistes, ainsi en soulignant les exemples de bonne gouvernance lorsqu’ils existent. Mais il est évident que le droit d’établissement et la libre circulation restent encore des points faibles dans notre système d’intégration.

RFI : Il n'y aura pas d'intégration sans des États qui acceptent de concéder une part de souveraineté. N'est-on pas encore loin du compte, de ce point de vue ?

S.C. : Il y a beaucoup d’aspects sur lesquels ça marche. Quand on a mis en œuvre par exemple les compensations sur les moins-values de recettes douanières, les États ont quand même lâché beaucoup de leur souveraineté. En matière de commerce nous avons l’entière responsabilité au niveau de notre organisation pour représenter l’ensemble des États. En matière de concurrence, nous rendons nos avis et les États acceptent de reculer si on considère qu’ils ont tort, que ce soit au niveau de la cour de Justice, ou au niveau du comité chargé de veiller aux règles de concurrence.

Aujourd’hui tous les États ont admis que tous seuls ils ne peuvent pas régler un certain nombre de choses. Quand nous fixons aussi les choix en matière d’investissement, et que nous disons : voilà la meilleure route, la meilleure interconnexion pour l’ensemble de l’Union, c’est vraiment accepté par tous les États et il n’y a pas de tiraillements, on laisse faire l’organisation. Donc les mentalités ont beaucoup avancé dans ce domaine. Evidemment en cas de crise, il y a un réflexe de repli ; mais globalement les États acceptent, de plus en plus, de lâcher de la souveraineté. Et soulignons qu'il n'y a pas de souveraineté plus grande que la monnaie, surtout en ces temps de crise.

RFI : La crise ivoirienne a été un cas de crise majeure ; malgré tout la sous-région a pu surmonter ceci. Comment vous l’analysez ?

S.C. : C’est le meilleur exemple. D’abord la Côte d’Ivoire a continué à remplir ses engagements ; il y avait des arriérés, elle a fini par payer ; les Ivoiriens viennent aux réunions, participent à la vie de l’institution, de ce côté il n’y a pas de problèmes. Ensuite, la solidarité a fonctionné. Au début de la crise, il a fallu accueillir les populations qui fuyaient la guerre, il a fallu trouver des écoles pour les enfants qui venaient de Côte d’Ivoire. C’est là qu’on a vu l’intérêt de l’Union, car les réflexes qui auraient pu être identitaires, conduisant à fermer les portes, n’ont pas existé. Bien au contraire, les gens ont été accueillis, ont pu s’installer, et nous en tant qu’organisation nous avons continué à travailler avec la Côte d’Ivoire comme un pays qui n’est pas en crise, qui doit remplir ses obligations – sachant qu’elle représente 35 à 40% du PIB de l’Union. C’est un bel exemple où l’on est parvenu à séparer les aspects très politiques des aspects de développement économique et social.

RFI : Bientôt l'UEMOA aura son Parlement et le siège de son Parlement. Que va changer l'apparition de ce nouvel acteur ?

S.C. : Cela va être très important. Nous avons une organisation qui a besoin de montrer sa gouvernance. Nous avons bien sûr des outils de gouvernance économique, avec des institutions comme la Cour des comptes ou la commission bancaire. Mais nous avons aussi besoin d’une gouvernance politique : la commission elle-même sera responsable devant le Parlement, qui pourra la censurer, censurer les commissaires. Ensuite le Parlement va voter le budget et assumera un rôle politique beaucoup plus large que l’actuel comité interparlementaire. Il faut aussi que l’organisation soit plus proche des gens, et il faut que les populations se sentent concernées par leurs élus : le Parlement va beaucoup apporter en ce sens.

Nous avons franchi beaucoup de phases, il y a encore quelques traités non ratifiés, des documents à déposer au niveau du Sénégal, et nous avons à définir un collège électoral acceptable : on ne peut pas faire d’élections avec 80 millions d’habitants, mais nous allons trouver une solution intermédiaire pour que chaque pays soit représenté, en fonction de sa population, par un collège électoral qui tienne compte des particularités politiques et socio économiques dans chaque pays. C’est un moment très fort, et c’est la dernière institution prévue au traité qui n’est pas encore entièrement mise en place.

Qu'est-ce que l'UEOMA ?
•Succédant en 1994 à l’ancienne Union monétaire d’Afrique de l’ouest (UMOA), créée en 1962, l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’ouest compte 8 membres depuis l’adhésion, en 1997, de la Guinée Bissau.
•Son rôle embrasse de larges domaines recouvrant l’intégration des politiques économiques et le développement de la sous-région. Les principaux axes d’action ont concerné l’harmonisation douanière, fiscale et juridique, ainsi que la mise en œuvre (en 2000) d’un Tarif extérieur commun, la convergence des politiques macroéconomiques, la mise en œuvre de projets sectoriels communs de développement, et la création d’un marché commun basé sur la libre circulation des personnes et des biens et le droit d’installation.
•En 2006, un Programme Economique Régional (PER 2006-2010) a été adopté pour un montant de 2910 milliards de FCFA. Comprenant tout un ensemble de projets sectoriels visant à réduire la pauvreté et augmenter la croissance, le PER met l’accent sur les infrastructures routières d’interconnexion des pays membres (environ 70% du budget).
•Dirigée par la Commission de l’UEMOA, l’Union compte parmi ses organes une Cour de justice, une Cour des comptes et un comité interparlementaire appelée à être remplacé par le Parlement de l’Union, ainsi que des institutions autonomes : Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et Banque Ouest africaine de développement (BOAD).
•L’UEMOA a été lancée à une période de réduction de la croissance dans les pays de la sous région et a dû faire face à plusieurs défis : dévaluation du franc CFA, crise politique en Côte d’Ivoire. Si des résultats appréciables ont été enregistrés en matière douanière et fiscale, la mise en œuvre du marché commun souffre encore des entraves à la libre circulation et au droit d’établissement.
•Dans la période récente, l’Union a été confrontée à la négociation avec l’Union européenne des nouveaux accords de partenariat économique (APE) et à l’accord intérimaire conclu isolément par la Côte d’Ivoire avec l’UE, de nature à remettre en cause le tarif extérieur commun.

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